lundi 7 janvier 2013

Séminaire du CrAB à l'Inha : "Le Brut et le Naïf" (12 janvier, Inha, Paris)

Séminaire du CrAB - samedi 12 janvier - de 9h30 à 13h00
Inha - 2 rue Vivienne - Paris 2 (salle W. Benjamin - accès libre)

 Morris Hirshfield, American Beauty, 1942, The Gael Mendelsohn Collection

     Lorsqu'il fonde la Compagnie de l'Art Brut en 1948, Jean Dubuffet s'intéresse à des œuvres d'artistes que l'on rattache alors à l'« art naïf ». Propos tenus sur le douanier Rousseau, André Bauchant et Camille Bombois dans son Avant-projet d'une conférence populaire sur la peinture en 1945, collaboration avec Anatole Jakovsky, correspondance avec Wilhelm Uhde au sujet de Séraphine Louis, présentation d’œuvres d'Alphonse Benquet, de Clotilde Patard ou de Jean Stas au Foyer de l'Art Brut puis lors de l'exposition L'Art Brut préféré aux arts culturels en 1949… : autant de textes, d'événements et d'archives qui témoignent de l’intérêt de Dubuffet pour ce qui est catégorisé par certains comme « art naïf ». Au même moment, l'inventeur de l'art brut fréquente le milieu surréaliste, André Breton et Victor Brauner en particulier. Le chef de file du mouvement surréaliste se présentait alors comme le défenseur de ceux qu'il qualifiait d'« autodidactes dits naïfs » dans un texte écrit durant l'exil outre-Atlantique. Quant au peintre du Conglomeros, on sait qu'il avait signalé à Dubuffet l'existence de l'ouvrage de Sidney Janis, They taught themselves, publié en 1942 à New York. On peut s'interroger sur la teneur de ces échanges : ce qui se passait de l'autre côté de l'Atlantique ne pouvait manquer d'influencer ces Européens avides de mise en question.
Dès lors, quel sens donner à l'éviction des « naïfs » de la collection de l'Art Brut constituée par Dubuffet ? Pourquoi la catégorie d'art naïf ne pouvait-elle se fondre dans ce corpus ? Si l'histoire de l'art naïf croise celle de l'art brut, les notions de brut et de naïf n'ont pas connu le même parcours théorique. Mais, dans quelle mesure les discours construisant la catégorie d'art naïf éclairent-ils la « naissance » de l'art brut ? Quel sens donner à la notion de primitivité qui apparaît régulièrement dans ces mêmes discours ? Telles seront les questions lancées lors ce séminaire.
      Dans sa volonté de sonder les dynamiques à l’œuvre dans le contexte de l'émergence du concept et de la collection de Dubuffet, le CrAB invite deux jeunes chercheuses au travail. Leurs recherches portent notamment sur les discours qui instrumentalisent les notions de naïveté et de primitivité dans les années 1930, 1940 et 1950. Marion Alluchon prépare une thèse en histoire de l'art à Paris I, sous la direction de Philippe Dagen, interrogeant la réception de l'art naïf dans la première moitié du XXe siècle. Vanessa Noizet réalise un mémoire de Master 2 en histoire de l'art à Paris IV, sous la direction d'Arnauld Pierre, sur la relation qu'entretenaient Gaston Chaissac et Anatole Jakovsky.


PROGRAMME
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Samedi 12 janvier, 9h30 – 13h
INHA – salle W.-Benjamin – 2, rue Vivienne – Paris 2

9h30 Introduction par Baptiste Brun et Céline Delavaux

10h15 « Du folk art au self-taught : la reconnaissance de l’art naïf aux États-Unis (1932-1942) »
par Marion Alluchon, doctorante en histoire de l'art à Paris I

11h00 pause

11h15 « Dans l’orbite de Gaston Chaissac, l’homme orchestre (1952) : Gaston Chaissac et Anatole Jakovsky au regard de l’art brut et de l’art naïf » par Vanessa Noizet, étudiante en M2 d'histoire de l'art à Paris IV

12h00 débat

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« Du folk art au self-taught : la reconnaissance de l’art naïf aux Etats-Unis (1932-1942) » par Marion Alluchon, doctorante en histoire de l'art à Paris I.

Suite à la reconnaissance du Douanier Rousseau, de nombreux peintres autodidactes, appartenant à la classe populaire et souvent qualifiés, en raison de leur supposée inculture tant en matière de techniques picturales que de connaissances en histoire de l’art, de naïfs, connurent, en France, un véritable succès. Mais si Henri Rousseau fut d’abord consacré par l’avant-garde, en 1930 la reconnaissance de cet art naïf bascule et ces primitifs modernes deviennent, aux yeux de critiques et historiens d’art français de tendance plutôt réactionnaire et nationaliste, les hérauts du retour à l’ordre en peinture. Essentiellement figuratives, leurs œuvres sont vues comme les garantes naturelles, car primitives, d’un néo-réalisme typiquement français et s’opposent ainsi aux abstractions et au surréalisme contemporains.
A la même époque, la scène artistique américaine découvre ses propres artistes naïfs. C’est, en 1932 au MoMA, l’exposition « American Folk Art : the Art of the Common Man », qui, rassemblant des artistes actifs entre 1750 et 1900, inaugure de manière triomphale cette reconnaissance. Suit en 1938 « Masters of Popular Painting ». Puis, en 1942, alors que le MoMA présente la première rétrospective que le Douanier Rousseau n’ait jamais eue, l’exposition « They Taught Themselves. American Primitive Painters of the 20th Century », du collectionneur et futur galeriste Sidney Janis, à la Marie Harriman Gallery de New York. Or, si en 1932 le folk art répond à un discours identitaire national, le regard américain évolue. Et, tandis qu’apparaissent des artistes autodidactes contemporains tels Morris Hirshfield, l’appréhension de cet art naïf se déplace et tend de plus en plus à l’intégrer au sein de l’art moderne.
Du folk art au self-taught, de 1932 à 1942, notre communication tentera de montrer comment, perçu d’abord comme un art mineur et spécifiquement national, l’art naïf aux Etats-Unis devint un genre artistique à part entière, au sein d’une histoire non plus nationale mais internationale de l’art. Nous nous attacherons en particulier à relever comment le discours américain diffère du discours français. Et en particulier en quoi la terminologie employée témoigne de spécificités dans la manière d'appréhender les œuvres de ces « naïfs » de part et d'autre de l'Atlantique.


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« Dans l’orbite de Gaston Chaissac, l’homme orchestre (1952) : Gaston Chaissac et Anatole Jakovsky au regard de l’art brut et de l’art naïf » par Vanessa Noizet, étudiante en M2 d'histoire de l'art à Paris IV.

Gaston Chaissac, l’homme orchestre, plaquette due au critique d’art Anatole Jakovsky et publiée en 1952, est la première monographie consacrée au peintre éponyme. En cinq chapitres, l’artiste est assimilé à une certaine histoire de la modernité et se trouve parallèlement rejeté tant des rangs de l’art brut que de l’art naïf.
Dans un premier temps, cela n’a rien d’étonnant. L’écrit d’Anatole Jakovsky s’inscrit au sein d’un contexte artistique particulier qui se cristallise autour du malentendu réel existant entre Dubuffet et Jakovsky quant à l’émergence de la notion d’ « art brut » dans les années quarante.
Ensuite, Gaston Chaissac n’apparaît pas comme un tenant de l’art naïf : sa singularité se mesure alors à son indépendance artistique. Aussi, l’argument de l’autodidactisme n’est pas pris en considération pour différencier le peintre vendéen des créateurs défendus ardemment par Jakovsky dès les années quarante.
À la lumière de quelques écrits d’Anatole Jakovsky, échelonnés entre 1949 et 1981, nous tenterons dès lors d’éclairer le texte de 1952.
Nous nous intéresserons notamment à La Peinture naïve, première monographie entièrement consacrée à cet art ; ensuite au Lexique des peintres naïfs du monde entier, qui tente une fusion des notions d’art brut et d’art naïf ; à Naive Painting, qui définit ce qu’est un artiste naïf ; enfin à l’introduction du catalogue du Musée international d’art naïf Anatole Jakovsky, qui entérine définitivement la position de Jakovsky à l’égard de l’art naïf contre celle de Dubuffet et de l’art brut.
Le « cas Chaissac » (Dieudonné, 2008), s’il est effectivement l’illustration d’un dialogue à trois interlocuteurs, peut également constituer un point de départ pour aborder l’évolution du discours critique élaboré par Anatole Jakovsky vis-à-vis de la peinture naïve.